Noël2024
Comme chaque année le temps de Noël coïncide pour nous avec celui de la moisson. Nous célébrons la naissance de Jésus, le fruit de la promesse,« comme on se réjouit de la moisson » (Is 9,2). Nous nous réjouissons de ce qui nous est donné et nous savons combien il nous faut travailler pour le récolter, pour l’accueillir. Jésus comme la moisson. Si nous moissonnons encore une partie de nos 39 hectares de rizière à la faucille, la modernisation de l’agriculture nous oblige à faire appel à une moissonneuse batteuse pour la plus grande partie afin que les oiseaux et les rongeurs ne les dévastent pas. Il nous faut alors assurer pendant de nombreuses semaines le séchage et le stockage du riz. C’est la photo que nous avons choisi de vous envoyer cette année.

Ce qui nous est donné et qui nous réjouis, c’est aussi votre amitié fidèle et généreuse pour laquelle chacun, des plus grands aux plus petits, a voulu signer notre MERCI. Sans vous, nous ne pourrions pas être cette grande famille de près de 90 personnes : enfants et jeunes de la maternelle à l’université avec 6 aînés responsables1 et quelques hôtes permanents accueillis à cause de leur santé. Catholiques ou bouddhistes, filles et garçons, c’est la pauvreté qui nous a rassemblés mais c’est notre règle de vie qui nous permet d’être une grande famille,« la communauté de Battambang»,« la famille du Père Jean».
Cette année 2025, cela fera 50 ans que les Khmers rouges prenaient le pouvoir au Cambodge. 50 ans aussi que le Père Jean Badré, bénédictin de La Pierre qui vire et de Kep, a choisi librement de rester au milieu de ceux dont il partageait la vie pour servir jusqu’au bout les malades et les pauvres. Il fut tué et abandonné par les Khmers rouges au début du mois de mai 1975 dans une rizière. Comme le grain tombé en terre, porteur de la moisson à venir… C’est son exemple qui nous inspire, nous qui ne l’avons pas connu mais qui comme lui essayons de « ne pas être préoccupés seulement de nous-mêmes, mais aussi des autres» (Ph 2,4).
Au cours de l’année qui s’achève nous avons accueilli douze nouveaux enfants. Douze histoires et douze espoirs. Début janvier, Saophea, 7 ans, est restée chez nous où étaient déjà sa sœur et ses deux frères. Sans solution pour la faire garder, sa mère s’était résolue à l’emmener avec elle en Thaïlande où elle travaille, malgré tous les dangers de laisser une petite fille sans surveillance pendant la journée dans la promiscuité des baraques de chantier. Oksenget Sreyont rejoint leur mère malade qui a passé neuf des douze derniers mois chez nous où sont déjà deux de leurs grands frères. Aucune maladie diagnostiquée pour leur mère mais la conséquence de nombreuses années de malnutrition et dénutrition et de manque d’accès à de l’eau potable. Raen, Rinet Nann sont arrivés ensemble du même village. C’est eux qui avaient demandé avec insistance de venir pour réussir leurs scolarités. Nann aidait sa famille en jouant dans des vidéos rémunérées sur TikTok. Sa demande : « je voudrais arrêter d’être acteur pour aller à l’école comme tout le monde ». Chaly,10 ans, vivait chez sa grand-mère avec trois cousins puisque leurs parents ont émigré en Thaïlande. La grand-mère, débordée, nous a demandé de l’accueillir quand elle s’est aperçu qu’il faisait l’école buissonnière. Phally vivait aussi depuis tout petit chez ses grands-parents très âgés et malades (son grand-père est décédé quelques jours après son arrivée chez nous) dans un village sans accès en saison des pluies. Comment aurait-il pu aller en 6ème à plus d’une dizaine de kilomètres? Minea et Chakriya sont sœurs. En économisant, leur père ne pouvait acheter que 5 cahiers à chacune alors que le collège en demandait treize, sans parler des autres fournitures scolaires. La naissance d’un petit frère et six semaines de travail sans salaire versé à leur père nous ont convaincus qu’il n’y avait pas d’autre solution que de les accueillir. La famille de Reaksmey et Daro portaient encore le poids de la mise à l’écart insidieuse des lépreux, maladie dont était atteint leur grand-père mort il y a un quart de siècle. Pour rompre cette chaîne qui obérait leur avenir, ils ont trouvé place chez nous en novembre.
Les quelques bribes de la vie des enfants nouvellement accueillis que nous vous racontons chaque année peuvent vous sembler répétitives mais c’est pourtant chaque fois l’histoire nouvelle d’une vie unique. Il n’y a que la pauvreté qui est identique. A cause d’elle, moins d’un quart des enfants chez nous ont des parents en capacité de participer partiellem’ent à la vie de leur enfant en envoyant un peu de riz ou un peu d’argent. Pourtant chacun donne ce qu’il peut, parfois un peu de gibier ou quelques fruits. Pour notre subsistance, il y a la vie communautaire où chacun participe aux tâches quotidiennes et aux travaux d’entretien, nos rizières qui produisent le riz que nous consommons (50 kg par jour) et celui que nous partageons avec ceux qui sont plus pauvres que nous. Mais depuis 25 ans, grâce au miracle sans cesse renouvelé de votre générosité, nous achetons chaque jour pour 60 € de nourriture au marché, nous pouvons payer les frais de nos scolarités, accueillir et soigner les malades, fournir du lait aux nourrissons qui en ont besoin…
Comme le Père Jean en son temps, nous ne pouvons pas rester insensibles aux besoins de ceux qui nous entourent. Une de nos règles de vie nous rappelle de« ne pas aimer pas en paroles ni par des discours, mais par des actes et en vérité» (lJn 3,18).
Nous poursuivons donc nos neuf tournées hebdomadaires de visite aux malades et nouveau-nés. En binôme et à motocyclette (parfois en canot), nous avons accompagné en 2024 plus de 440 malades dont 307 que nous continuons de suivre chaque semaine ainsi que 48 bébés allaités jusqu’à leur 1er anniversaire. Nous avons encore 37 bébés « à charge » en ce moment. Cela représente plus de 2000 boîtes de lait maternisé (soit plus de 1,8 tom1e), acquises cette année grâce à la générosité de la société YUL Diversity à Phnom Penh et de l’association« Un P.A.S. avec les Frères Jaccard» en France.
Notre vie quotidienne est rythmée par la visite des « petits » en qui nous reconnaissons Jésus (pauvre et fragile comme il était à la crèche).2
Ainsi aujourd’hui où nous écrivons ces lignes, nous avons reçu Sarom, 65 ans, qui souffre de multiples et graves complications d’un diabète que sa pauvreté et l’incompétence de médecins locaux n’a pas permis de traiter correctement. Puis Ral, malade indigent que nous connaissons bien, nous a présenté une famille où les deux parents sont handicapés des membres inférieurs avec quatre enfants à charge.Avec la grave crise économique que connaît le Cambodge, les revenus ont fondu et la mère ne mange presque pas pour que ses enfants n’aient pas faim. Le traitement d’une maladie cardiaque (qu’elle n’a pas) suite à un diagnostic erroné leur a coûté très cher et a laissé des dettes… Nous avons ensuite été interpellés pour une enfant de 10 ans dont la mère souffre depuis longtemps d’une grave addiction à la drogue et vit dans la rue. Recueillie à sa naissance par son arrière-grand-père, celui-ci vient de décéder et ses proches ne veulent non seulement pas la prendre en charge mais lui ont fait subir des mauvais traitements Enfin Phanny,18 ans, cousine d’enfants de notre communauté arrive de Kompong Som à 500 km. Elle a dû fuir son copain qui a été arrêté par la police suite aux violences qu’il lui faisait subir. En transit vers la Thaïlande où ses parents ont émigré, elle a besoin de se poser quelques jours…
Cette accumulation de situations difficiles doit vous sembler invraisemblable et nous avons hésité à vous la partager. Mais elle vous dit concrètement ce qui nous fait vivre. Si ces personnes viennent chez nous, c’est qu’elles n’avaient plus où aller, pas où aller ou n’osaient pas aller ailleurs. Mais chez nous, c’est comme chez elles.
Au mois de mai, alors que nous ferons mémoire du Père Jean, sera célébrée en Savoie (où résident beaucoup de destinataires de cette lettre) la béatification de Camille Costa de Beauregard, le « père des orphelins ». Si nous vivons clans un siècle et un continent différents, notre vie quotidienne nous rapproche de lui, sa manière d’éduquer surtout : « On m’a souvent demandé quel système nous employions pour former nos enfants … Notre secret est simple, disait-il,pas compliqué du tout, nous les aimons beaucoup, voilà tout. .. et c’est sans doute cette affection qui nous fait trouver les moyens d »arriver à leur cœur, à leur raison pour les former».
Au seuil de cette année du Jubilé de l’espérance, avec le Père Jean ou Camille Costa de Beauregard, merci d’être avec nous et de nous permettre d’être des pèlerins de l’espérance « puisque l’amour de Dieu a été répandu dans nos cœurs par! ‘Esprit Saint qui nous a été donné». (Rm 5,5).
Si vous souhaitez nous aider, vous pouvez envoyer votre don à:
« Association des Amis du Père Jean»– P.Bernard DUPRAZ 733 rue du Bertillet – 73000 CHAMBERY – FRANCE
Pour recevoir un reçu pour déduction fiscale
chèque à l’ordre de la« Fondation Don Bosco»et sans autre mention.
Si vous n’avez pas besoin d’un reçu pour déduction fiscale chèque à l’ordre des « Amis du Père Jean » MERCI !
Pour partager plus facilement les nouvelles de la communauté, nous avons créé une page Facebook : Père Jean Battambang
- et non plus cinq : Pang vient de r·aire le choix de donner quelques années pour être responsable cle nos 39 hectares de rizière
et du matériel agricole ↩︎ - Les plus grands disent parfois que c’est un héritage des Pères Jean Badré et Bernard Chunsar et des frères André Rurnchuor et Dany Nirnit. moines bénédictins qui ont offert leur vies sous les Khmers rouges et dont la règle dit : Tous les hôtes qui arrivent seront reçus comble Christ. En effet, lui même dira « J’étais un hôte et vous m’avez reçu » (Mt 25. 35). ↩︎