A tous les amis des P. Pierre et Raymond Jaccard… amis de Jésus, de l’Evangile, du Royaume…
Je suis sœur Pascale, une sœur belge de 43 ans, Carmélite Missionnaire… jusque là, mon nom ne vous dira rien, et cela n’a pas beaucoup d’importance… Par contre, je suis en mission à… la léproserie de la Dibamba… à Douala, Cameroun… petit maillon d’une chaîne de missionnaires qui a commencé en 1954 lors de la création de la léproserie, avec les petits frères et petites soeurs de Jésus puis les soeurs Carmélites d’Avranches et les Pères Jaccard, puis depuis 25 ans les soeurs Carmélites Missionnaires. J’ai connu la léproserie en 2004, année de mon expérience missionnaire en tant que novice… puis j’ai fait un court séjour en 2013 avant d’y être affectée en 2014 jusqu’en 2019 pour le soins des malades (internés (anciens malades de lèpre, malades avec la tuberculose multi-résistante et malades avec tous types de plaies) et externes (soins de plaies et consultations de médecine générale) et la gestion de la léproserie et du personnel en qualité de responsable… Dans ma mission, j’ai été très souvent appelée à accueillir les nombreux groupes qui viennent nous faire des dons (nous dépendons principalement de la Providence pour prendre soin de nos pauvres) et il me semblait toujours essentiel de leur rappeler notre histoire et de les inviter à s’approcher de Robert… afin de bénéficier des nombreuses grâces que nous avons ici… et qui sont constantes. Personne ne s’approche de Robert sans trouver réconfort et soulagement.
Confrontée à un nombre toujours plus important de personnes devant traverser la terrible épreuve d’une amputation de membre, dont beaucoup de jeunes suite principalement à des accidents de la circulation et beaucoup de pères et mères de famille, nous avons décidé d’en aider quelques uns à acquérir une prothèse… ces prothèses se sont avérées très coûteuses et de mauvaise qualité… C’est ainsi qu’en 2018, dans la prière me revenait sans cesse l’idée de créer un centre de prothèse 3D.
Avec l’accord de mes supérieures, j’ai pris des informations et tout s’est enchaîné providentiellement, me confirmant que cela ne pouvait être que la volonté de Dieu… Toutes les portes s’ouvraient… Nous avons pu acquérir les imprimantes pour l’impression 3D, le scanner… la construction du centre est en train de se terminer… En août, Loïc et Alain se rendent à la léproserie pour un reportage sur Robert Naoussi. Loïc est en contact avec P. Raymond et me dit que P. Raymond voudrait que nous parlions au téléphone. Je me réjouis de cette perspective parce-que je suis convaincue qu’il y a un lien inscrit dans les cieux entre nous, comme si j’étais en quelque sort la fille ou petite fille « missionnaire » des missionnaires qui nous ont précédés… nous avons hérités dans la foi de la même famille ici à la léproserie… nous sommes donc de la même famille.
L’appel téléphonique a lieu; il est assez bref: la connexion n’est pas bonne et j’ai du mal à comprendre ce que me dit P. Raymond… Mais il ne semble pas emballé par le projet: je lui parle de technologie 3D, il me dit de faire des prothèses que les personnes amputées puissent faire elles-mêmes… Je me dis intérieurement que nous sommes sans doute sur des avis divergents en raison de contextes différents: dans les années 60, on pouvait faire des prothèses en bois… mais au 21ième siècle, il faut vivre avec son temps… La friction est palpable… mais j’accueille… Il me dit encore de ne jamais oublier les pauvres… Il insiste… Et cela me touche. La léproserie de la Dibamba est la seule structure a caractère purement social de l’Archidiocèse de Douala et pour moi cette attention aux plus démunis ou exclus est essentielle. Je suis convaincue que si nous perdons notre option préférentielle pour les pauvres, nous perdons tout. Tristement, il me semble que de plus en plus de structures catholiques deviennent la cible d’une « clientèle » plus aisée et je ne veux absolument pas perdre cette option des pauvres….
P. Raymond me rejoint et quelque part me conforte… c’est comme un testament qu’il me fait, comme s’il m’avait exprimé ses dernières volonté. Et à ma grande surprise, il me propose de m’aider en finançant le groupe électrogène… Avant de nous rendre compte que nous devions absolument alimenter une partie du centre en panneaux solaires, nous avions prévu de nous munir d’un gros groupe électrogène de 30 KVA pour toute la structure. Là aussi je sentais P. Raymond réticent… et pourtant.. il décide de le financer… entièrement. Treize mille cinq cent euros… Pour moi, j’ai comme compris immédiatement -en tout cas c’est come cela que je l’ai interprété et vécu jusqu’à ce jour- que c’était bien plus qu’un don matériel que le P. Raymond me faisait: quelque part, il me témoignait sa confiance, m’encourageait et… me passait le flambeau… Il nous a quittés quelques jours à peine après.. cela m’a beaucoup marquée. Il nous a quittés quand j’avais le sentiment d’avoir besoin de lui… pour m’accompagner dans le projet.
Nous avons un point commun: la foi et la certitude que Dieu peut tout et peut nous guider, nous inspirer pour faire aboutir sa volonté malgré la pauvreté de nos personnes et de nos moyens. En septembre, les techniciens sont venus pour installer les machines, nous former au scanner, aux programmes, à l’impression 3D… mais jusqu’aujourd’hui nous n’avons pas pu encore fournir une seule prothèse de qualité. Les échecs ont été récurrents… fragilité des pièces, designs à revoir, manquement de filament, panne grave d’une des deux machines (probablement sur une surtension sur la ligne), perte des pièces en cas de coupure de courant (ce qui est fréquent)…. Commande de nouveaux filaments qui n’ont pas pu arriver à temps pour l’envoi et qui sont toujours dans la nature au jour où je vous écris… Bref, beaucoup de problèmes et de difficultés à résoudre… chaque jour nous a apporté son lot de problèmes, nous avons trouvé des solutions et chaque nouveau jour en a encore apporté des nouveaux… Contre toute attente, là où d’autres seraient tentés de jeter l’éponge, je garde la foi et suis convaincue que c’est une grâce et que Dieu permet tout cela pour nous obliger à aller plus loin, à chercher encore et encore… J’ai compris ce que P. Raymond me disait… J’ai compris et c’est vers là qu’il faut aller: trouver des solutions locales facilement réajustables pour les personnes porteuses de prothèses, à coût très réduit… J’ai contacté Monica qui m’a envoyé le guide de prothèse du P. Jaccard et nous avons commencé à l’adapter en nous basant sur le modèle de son pied en bois; n’ayant pas trouvé le caoutchouc, nous utilisons les cylinblocs et nous utilisons un tube en inox…
Les deux premiers pieds sont sortis: avec l’un nous avons pu réparer la prothèse de Maman Odette, ancienne malade de lèpre, et l’autre nous avons pu monter lune prothèse pour Franck, un jeune de 26 ans… Ils étaient tous deux contents, disant que c’est confortable (amortissement postérieur et flexion antérieure). En 2018, j’avis récupéré auprès de l’un de nos travailleurs -et gardé précieusement (intuition: j’étais convaincue que j’en aurais besoin) un très ancien manuel des P. Jaccard qui décrivait les prothèses et les chaussures orthopédiques et invitait à continuer à chercher et trouver de nouvelles solutions locales toujours meilleures. J’ai acheté du cuir (mais on ne le trouve pas facilement et tout de même cher) mais je pense essayer de faire la coque en tissus et lanières superposées… cousues en différentes couches avec la pièce de nivellement en bois dur… J’ai confiance, nous y arriverons… Et je ne doute pas que P. Pierre et P. Raymond, Robert, la petite Thérèse et Jean Thierry nous y aiderons du ciel… Je voudrais vous dire merci pour vous tous qui nous soutenez et priez pour nous.
Bien fraternellement,
Sr Pascale.